Howard McCord | En marchant vers l’extrême

Le monde entier peut-il tenir dans un sac-à-dos ? |

C’est assez marrant de lire ce livre, En marchant vers l’extrême de Howard McCord, juste après La Conjuration de Vasset. Trucs de marcheurs, d’espace, avec des ambiances métaphysiques à gogo. C’est encore plus marrant d’apprécier la mise en perspective à quelques jours de distance. Voir qu’au final le Vasset se révèle être un livre assez irritant parce que presque beau, mais profondément vide. En marchant vers l’extrême ne fait que, ou presque, parler de vide et que, pourtant, ce livre est plein comme un œuf. Marrant.

Né en 32 Howard McCord est moyennement connu chez nous pour un bouquin paru chez Gallmeister, L’homme qui marchait sur la lune. Un très beau livre selon mon libraire et d’autres personnes aux goûts sûrs. Contrairement à toute une flopée d’écrivains à moustache qui ont élu domicile dans le Montana pour faire école sans le dire, McCord a posé sa galoche, à moustache elle aussi, dans l’Ohio lointain. Vu d’ici, c’est exactement la même chose. On imagine facilement le quotidien de l’écrivain, à l’identique de celui de ces compagnons des Grandes Plaines. Se lever tôt avec une bonne tasse de café jamaïquain, promenade avec le chien, écriture jusqu’à midi, pêche l’après-midi. Quelques vices cachés, comme tout le monde. Sans doute un amour incommensurable pour la bouteille, Dieu… ou les deux. McCord aime, c’est sûr, les choses simples. Un match de baseball à la téloche de temps en temps, discuter avec des amis indiens les soirs d’orage. Mais plus que tout, ce qu’aime McCord c’est marcher, écrire et être seul. Le genre de type que l’on croise souvent sur les chemins escarpés de haute montagne. Il est là, posé à la sortie d’un virage encombré par un rocher ou suspendu au-dessus d’une crevasse. En fronçant un peu les yeux vous pourriez voir qu’il essaie de s’inclure pleinement, totalement, dans ce qu’il regarde et faire comme si vous n’étiez pas là. C’est une technique zen de plus en plus inefficace. Du coup, McCord a trouvé la parade : il marche dans les déserts. Déserts arctiques, d’Islande ou du Nouveau Mexique… Et parfois il finit aussi dans un bar. Comme tout le monde.

“Je regarde avec mes pieds, marche avec mes yeux.”

— Howard McCord

Ça c’est balèze ! Voilà donc de quoi est capable McCord quand il est seul avec son sac-à-dos. Le vieux briscard prend le prétexte de balades dans les endroits les plus reculés de la planète pour tenir séance sur le monde, les hommes… la vie quoi. C’est très beau et on aurait presque envie d’envoyer un exemplaire à Erri De Luca pour qu’il en prenne de la graine. McCord est vif d’esprit, mais a la patience de l’expérience. S’il n’était pas né yankee il serait indien. Il a le sens du partage, alors il se souvient pour nous d’anecdotes historiques, convoque des fantômes de conquistadores espagnols, de vikings perdus et d’apaches sanguinaires.

Parfois on se marre bien aussi, surtout quand l’immensité autiste du vide lui fait dire deux trois trucs assez funky. Il parle de la totalité absolue des pierres… « Dans le désert, on invente pas de scénario pour les pierres »… enchaîne sur l’absurdité sidérante de la propriété personnelle. Des phrases sans queue ni tête, d’une beauté inouïe, mais qui me donneraient presque envie de le traquer lors de ses futures promenades histoire de lui piquer son paquetage à la première pause pipi. Privé de sac de couchage, de nourriture et de quoi se déshydrater on verra bien comment Proudhon s’en sort en milieu hostile. Mais en fait on s’en moque. McCord est un homme après tout. Surtout, il veut nous parler d’autre chose. Un truc sérieux. Un truc de grande personne qui a bourlingué.

“Il y a dans les paysages autant d’informations que dans les mots.”

— Howard McCord

Une marotte vieille comme les premières légendes. Le cœur intellectuel de McCord se trouve ici… « Le lien entre la langue et le monde n’est pas logique »… Notes, réflexions, souvenirs de morts, de randonnées périlleuses, théorèmes alanguis comme par un trop plein de contemplation, En marchant vers l’extrême incarne une sorte d’émerveillement poétique et ontologique proche de Rousseau. Dans la méthode, pas tout à fait dans le propos. C’est un livre pour dire toute la complexité de dire le monde et le texte avance malgré tout, par touches éparses et érudites, porté par d’autres magnifiques phrases grandes comme des herbes sauvages. En définitive, c’est un geste poétique et paradoxal, équipé comme un couteau suisse dont on ne saurait que faire de la moitié des options tout en les trouvant franchement fascinantes. Soyons clairs, il y a cent fois plus de choses dans une virgule de ce livre que dans les 206 pages du Vasset. Mais ça n’engage que moi bien sûr.


Howard McCord | En marchant vers l’exrême
Traduit de l’anglais (États-Unis) par François Hirsch
Ring | 2013 |173 pages