Philippe Vasset | La conjuration

La conjuration des promeneurs |

Vadrouille post-industrielle dans un Paris démoralisant et blême, La Conjuration de Philippe Vasset était annoncé comme du Ballard jambon-beurre. Bon. Effectivement, dès qu’on parle d’autoroutes abandonnées, de parking et de zones commerciales dans un monde urbain désabusé on pense à l’auteur de Crash. Mouais…. N’est pas Ballard qui veut quand même.

Le septième roman de Vasset raconte, en gros, comment deux loosers, deux taches, deux has-been-wannabe des familles, décident de monter une religion Le Business plan en clair de Pierre Maurin (éditions Ellipses) sous le coude. Tout se passe médiocrement bien jusqu’à ce que l’un des deux (le mystérieux narrateur… Ah ! magie de la littérature) se lasse d’être le larbin de l’autre. Rébellion, il décide alors de mettre en place sa propre secte dont le but est l’intégration urbaine définitive par le truchement d’une disparition plus ésotérique que physique et quelques heures de rando. Voilà pour « l’action ».

Ensuite quoi ?

Eh bien c’est assez compliqué. L’histoire… ça devient vraiment un gros mot…, l’histoire maigre, gris clair, de Vasset, portée par une écriture gris clair et maigre ne semble donner pas plus à se mettre sous la dent que le programme de cette secte de promeneurs dont sont présentées les différentes étapes du Bardo à la toute fin du livre. Oui, je me permets de lâcher la fin du bouquin tellement cette histoire ne tient pas la route dix pages.

Je me permets car le truc est ailleurs. Déguisé en roman La Conjuration apparaît comme une variation géographique mentale dont la beauté étrange nous est commune. Vasset y ajoute une dimension gnostique, propre à son personnage, faisant fleurir une symbolique complexe de chaque lieu, du moindre bout de bitume qu’il arpente. Dans sa recherche d’une chapelle où organiser ses rassemblements sectaires le narrateur transforme tunnels désaffectés, parking excentrés, coursives abandonnées en sanctuaires pour initiés. Ces recoins de nos villes, absents à tant de regards, attendaient sans doute une nouvelle affectation. Ballard ?!? Toujours pas, mais la véritable vibration du livre est là, suspendue à une modernité crue, une justesse dans la captation de ces espaces invisibles et secrets que nous avons appris à ne plus voir.

Au final, c’est vraiment cette géographie souterraine, quasi ésotérique, cette troublante zeitgeist mélancolique et paranoïaque qui transporte La Conjuration au-delà d’une première déception. Aucune histoire, aucune action esquissée, comme dans la plupart des romans français qui continuent de mal interpréter le souhait de Flaubert de faire un roman sur rien. Du blah blah, parfois avec style, mais le plus souvent juste du blah blah, des mots d’écrivains qui posent, des phrases qui attrapent un instant évanescent, un état d’esprit indicible, Paris, toujours, un truc qui flotte dans les airs mais ne laisse aucune trace si ce n’est celle d’une littérature sans véritables ambitions ; de tout ceci Vasset arrache un sursis inexplicable et c’est déjà impressionnant. Mais ça n’est qu’un sursis.

À lire sur une aire d’autoroute, un peu d’encens dans les yeux.


Philippe Vasset | La conjuration
Fayard | 2013 | 230 pages