Louis Wolfson | Ma mère, musicienne…

Louis Wolfson dit merde à la mort |

Plutôt que de vous parler d’ Exécution ! de Mark Leyner que j’attendais avec impatience & qui ne s’est pas formalisé de 50 pages pour me décevoir (on en reparlera) arrêtons nous sur ce mausolée incroyable : Ma mère, musicienne, est morte de la maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir Memorial à Manhattan. Voilà un texte qui arrive de loin. Géographiquement, temporellement, humainement & éditorialement. Publié pour la première fois en 1984 par une maison au nom de pâtisserie, retravaillé par Wolfson l’année dernière, il nous est rendu aujourd’hui par les éditions Attila qui viennent d’ajouter une nouvelle borne en or massif à leur catalogue. Gaffe tout de même à ce que tonton Gallimard (premier éditeur de Wolfson), dans un élan de culpabilité comptable, ne revienne sur ses vieilles billes. Ils seraient capables, chez Gallimard, d’en faire un de ces Folios atrocement imprimés, avec une typo qui bave à n’en plus finir & tout & tout…

Louis Wolfson, le FFC vous en déjà parlé, est ce juif new yorkais caractériel, schizophrène, convaincu que Gallimard fit coïncider la sortie du Schizo & les langues avec la visite de Pompidou aux États-Unis, espérant que la folie de son auteur le pousserait a tuer le président français. Publicité virale. Louis Wolfson qui ne supporte pas sa langue maternelle, se balade toute la journée avec un walkman sur les esgourdes pour la tenir en respect, écoute la radio en allemand, en russe, en hébreu & écrit en français. Car, oui, notre littérature est obligée de chercher des éléments perturbateurs overseas pour la mettre à mal sans que quasiment personne ne soit au courant. « Jusqu’à aujourd’hui » soupire-t-on avec espoir…

Le programme est annoncé dans le titre détaillé, à quelques variantes près : l’agonie sur 301 pages de Rose, la mère de l’auteur, d’un cancer ombilical. Pas très sexy, & pourtant Wolfson en profite quand même pour nous parler de lui. Cette introspection à double bande passe par les résultats de toutes les courses hippiques de New York & de ses environs entre 1975 & 77, sans oublier moult contre-conseils aux sujets des différentes manières de parier selon le jour de l’année, quelques saillies toutes dents dehors sur les juifs, les niggers, les moricauds, les infirmières antillaises (ces « enculeuses violatrices ») qui se la pètent un peu trop, la politique américaine, les élections françaises de 2012 & la fin du monde pour faire court. Ça fait beaucoup pour quelqu’un de sa condition, un dingo qui vit encore chez sa mère à l’heure où la majorité des hommes tentent d’échapper à leur destin domestique. Tout ceci pour dire que voilà les pléthoriques prétextes (plus les quelques caractéristiques mentales énoncées en rafale dès l’ouverture) que Wolfson avance comme si il avait décidé que la lecture serait une partie d’échec à plusieurs niveaux. Tout ça pourquoi ? Pour nous faire des tours de magie avec une langue qui n’est même pas la sienne, à la base. Un idiome unique, fascinant, qui frôle parfois le couteau suisse. Wolfson nous refait le coup génial du vas-y-que-je-te-réinvente-le-français-l’air-de-ne-pas-y-toucher, un français que l’on dirait d’un charme parfois suranné, avec des contre-temps qui ne sont pas des fautes syntaxiques ou un manque de maîtrise de sa part mais comme la marque indélébile de cette personnalité hors-norme qui gondole tout un texte littéralement augmenté de boursouflures. Wolfson enquille les répétitions de manière pathologiquement évidente, se lance, drapé derrière sa maladie mentale, dans un jeu de massacre qui aurait valu un bouquet de procès au moindre pékin qui l’aurait tenté à sa place. Mais finalement, que voulait-il nous dire ?

La chose n’est pas si évidente en soi tant Wolfson a pris soin de se cacher derrière un discours monstrueux. Le livre avance masqué, entrecoupé d’extraits médicaux du journal de sa mère & d’expéditions hippiques. On en vient a attendre, comme des collégiennes pleines d’amour pour l’Amour, de voir sa carapace s’effriter, voir si la mort très proche de sa génitrice nous prépare une surprise lacrymale. Rose Wolfson, musicienne comme moi (c’est à dire à la Ross Geller), a donc eu la bonne idée de mourir d’un cancer du nombril histoire de donner du grain à moudre aux amateurs de psychologie momolle. Mallarmé avait un fils, Wolfson fragmentera sa mère pour mettre en cadastre sa propre folie. Sainte-Mère-de-Dieu, un mémorial ! Mais le décryptage mortuaire est à sens unique & ne laisse aucune place à la mièvrerie romanesque. En fin de compte Wolfson est placé au centre même d’une question de philo aussi vieille que la cigüe : Comment comprendre un monde qui laisse les gens mourir à petit feu ? Comment ne pas penser comme nos amis grecs & Cioran que c’est une véritable connerie que d’être né (un « inconvénient »), ou pire : disparaître plus lamentablement, comme maman Wolfson, d’une maladie atrocement démocratique alors que tout aurait pu être réglé en deux secondes si seulement nous avions fait usage de notre arsenal nucléaire lorsque nous en avions encore l’occasion. La position est tendue mais elle se tient. Même lorsque que, comme Wolfson, on finit par gagner à la loterie.

Au delà de ces considérations ontologiques, un livre sur le cancer ne pouvait que me toucher, moi qui suis persuadé que j’en mourrai un jour (& notamment un de la couille, gauche a priori). Mais plus que ça encore, il y a une affinité élective étrange. Louis Wolfson, un homme selon mon cœur : intelligent, maniaque, fiévreux, cynique & doté d’un caractère de cochon salutaire. C’est une dialectique très proche de celle d’un Thomas Bernhard qui avait besoin de s’énerver comme un pou pour attaquer la page. Sans doute la bourgeoisie campagnarde autrichienne est-elle trop loin de Wolfson pour qu’il essaie de lui cracher dessus. Qu’importe, le monde qui l’entoure est assez énorme de bêtise pour le stimuler. Il me faudrait vingt pages comme celle-ci pour parler de l’utilité universelle de cette mauvaise humeur, de cette rogne continue contre tout & n’importe quoi… Comme beaucoup de gens de sa condition (intellectuelle, pas clinique) Wolfson ressent tout, vraiment tout, derrière son apparat d’imbécile insensible. La vérité c’est que cela doit être bien plus critique chez lui que chez la première guimauve décérébrée avide de bons sentiments. Caca beurk ! bien sûr & merde à ceux qui n’ont toujours pas compris.


Louis Wolfson | Ma mère, musicienne, est morte de la maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai 1977 au mouroir Memorial à Manhattan
Attila | 2012 | 301 pages