Deux pour le prix d’une, ou comment j’ai rencontré Thomas Pynchon pour de faux (dans une librairie). |
Alors que quelques gramme d’aspirine se déversent actuellement dans mon système et que j’essaie de reprendre mon souffle écourté par l’invasion en division rangée de multiples bataillons de cigarettes dont je tairai le nom pour éviter tout conflit d’intérêts, sachons seulement que pour des light elles ne sont pas mal non plus et qu’une bouffée rend chanceux (c’est bon, vous avez deviné ?), alors donc que les vapeurs du Brouilly se dissipent et que les souvenirs recommencent à affluer, en ordre dispersé, certes, peu nombreux, épars, il est temps de parler des deux soirées parisiennes qui furent consacrées à Thomas Pynchon, la première au Comptoir des Mots, librairie du XXe arrondissement et dont je ne dirais pas grand-chose étant donné son trop grand éloignement temporel pour le faible organe qui me sert de machine à penser, voilà c’est dit, et la seconde n’ayant eu lieu qu’il y a quelques heures et dont j’essaie de saisir l’essence alors même qu’elle s’éloigne elle aussi trop vite pour en donner une vision réaliste et probante.
Une bande d’Inculte, soit donc Arno Bertina, Mathieu Larnaudie et Claro viennent introduire Pynchon dans notre bien morne république des Lettres, les rôles étant bien partagés en cette deuxième soirée. Ah oui, à l’Arbre à Lettres du XIVe arrondissement, pour les connaisseurs. La foule était présente, tout le monde au garde à vous, l’air ambiant saturé, la clim’ tournant à fond et à vide essayant tant bien que mal, et plutôt mal si vous voulez mon avis, de diluer la chaleur humaine qui se dégageait d’un ensemble hétéroclite de lecteurs pas encore familiers de l’œuvre du Pynch et d’autres convertis de longue date ou de brève échéance qui n’en avaient pas encore soupé qu’on parle encore et encore de leur auteur favori, qui, il faut le dire, jouit inhabituellement en cette période de rentrée littéraire d’une couverture médiatique exponentielle et d’une qualité comme on en a rarement vue.
Claro débuta donc par une introduction brève mais efficace au Pynch (à partir de là, il me semble que l’ordre est assez confus pour moi, même si c’est encore très récent, mais vous connaissez le vieil adage : ne tirez pas sur le pianiste), ou plutôt non lecture introductive d’un papier de Claro par le libraire des lieux, pynchonien dans l’âme et hôte de marque, sur l’intraduisibilité supposée des romans du brave Thomas, qui là aussi, il faut bien le dire pour la foule qui ne le connait pas, pour les lecteurs qui n’en ont rien à faire mais qui guettent ce genre de détails croustillants, se démarque par un style déplorable qu’heureusement la traduction embellit pour que le Pynch passe pour ce qu’il n’est pas et vende enfin quelques livres en France. C’est d’ailleurs assez consternant que personne dans la presse, outre que les journaleux n’ont pas lu le livre, ceux-ci pouvant toujours prétendre n’avoir pas eu le temps (…), n’ait ne serait-ce que parlé, abordé, brossé quelque esquisse sur le style de Pynchon, qui est tout de même particulier, munificent, grandiose ou grandiloquent par endroits, qui explose un peu partout et comme le dit si bien Claro si ma mémoire ne trahit pas sa pensée, son style est un évènement permanent. Coupons court et ne cédons pas à l’aigreur du jugement, même s’il y a lieu de.
Donc donc donc intro du Pynch, d’un écrivain qui a avant tout eu l’ambition de laisser parler son œuvre à sa place, et puis fondu enchaîné sur la lecture de quelque pages de V. par Arno Bertina, pages drôlatiques et guignolesques illustrant à merveille le côté « farcesque » de l’œuvre de Pynchon, idée avec laquelle nous ne pouvions être plus en accord. Il y était question d’alcool, de gros seins il me semble bien, de marins qui tètent la bière comme leur mère (d’où les gros seins susmentionnés) et qui appellent toutes les barmaids Béatrice, comme toutes leurs mères s’appellent Maman. Vient ensuite le moment de lire quelques extraits du petit dernier. La première soirée nous avions eu droit, gâtés que nous sommes au passage décrivant la machine à voyager dans le temps du Pr. Zoot ainsi qu’à l’hilarant passage évoquant Franz Ferdinand, le futur empereur et non le groupe du même nom, faut suivre une fois de plus, c’est pas simple mais qu’on on s’y colle on y arrive, avec en prime un accent allemand impitoyable (comme le film de Eastwood) made in Claro qui décidément a du faire espagnol au lycée mais qui n’en donnait pas moins une couleur locale au texte révélant une fois de plus n’est jamais trop l’humour sans fin du Pynch. Vacheries à part, j’espère que je serai pardonné ; le dernier extrait de Contre-Jour lu à la soirée du 18 fut la découverte par Dahlia Rideout d’un grand magasin new-yorkais dans lequel elle croit reconnaître sa mère qui l’avait abandonnée quelques quinze années plus tôt. A nos grands regrets les passages zoophiles n’ont pas retenu l’attention de nos intervenants qui tenaient à prévenir toute crise diplomatique parmi les amis des animaux que pouvait compter l’audience.
Au tour de Larnaudie de parler de Face à Pynchon dont notre camarade Pedro a déjà fait une recension détaillée ici, aussi n’est-il pas nécessaire de revenir sur des détails connus de tous, amis lecteurs et détracteurs. Vient ensuite de manière fort impromptue parce qu’elle n’était nullement programmée, l’intervention de Stéphane Legrand concernant Vineland et sa réception critique. Lui de nous expliquer avec éloquence et grande sagesse que Vineland « tourne le bâton dans l’autre sens » selon l’expression consacrée de Lénine, nous donne à voir un monde fait d’objets et n’étant pas par ailleurs une sorte d’oeuvre nostalgique des années hippies, de la contre culture utopique ratée. Vineland était aussi plus court que ce qui venait avant lui, certains ont crié au scandale, et Claro de rétorquer que quoiqu’il en soit, que le livre soit long ou soit court, la taille demeurait pour un trop grand nombre un argument de critique littéraire majeur. Bim. Bim. Bim. (Me reviennent en tête toutes les critiques françaises parues, qu’elles soient intelligentes ou non, et ne nous trompons pas je parle des critiques journalistiques, et j’ai comme un grand sourire devant la soupe de clichés qui nous a été servie, certains allant même jusqu’à dire très sérieusement que Pynchon n’a aucun humour…… je vous laisse, camarades pynchoniens vous déchaîner jusqu’à plus soif devant cette affirmation douteuse qui devrait, espérons-le, renvoyer le journaleux dans les tréfonds de la bassesse journalistique et du psittacisme institutionnalisé, quoique quand j’y pense, je doute que ce soit le cas).
Enfin nos pieds nickelés adorateurs du Pynch se taisent pour laisser parler la foule, plus diserte il faut dire en cette deuxième soirée. Je dois avouer ici mon incurie, je n’ai pas pris de notes, alors certaines questions m’échappent, sauf celles d’un homme qui était positionné à ma proche droite durant la soirée, question que j’ai donc pu ouïr avec netteté malgré l’accent (anglo-saxon ? je crois mais n’en mettrait pas ma main à couper ; je pourrais jurer sur la tête de Michel Schneider mais je ne veux pas m’attirer d’ennuis – inside joke) prononcé de l’interrogateur. Celui-là, mathématicien se déclarait impressionné que Pynchon ne se trompe que très très rarement quand il parle de mathématiques (votre hôte qui écrit ces lignes n’entend rien aux nombres, aux signes mathématiques et à toute autre forme d’hérésie scientiste) et la question portait sur le pourquoi de l’inclusion de détails si pointus et savants dans le roman alors que l’ultra majorité des lecteurs n’y entendrait rien. Parce que ce qui intéresse Pynchon, c’est le bruit que fait la langue, répond le Traducteur, toutes les formes de discours trouvent une place, toutes les langues, parce qu’en tant qu’êtres vivants nous ne sommes pas toujours en présence d’éléments familiers que nous comprenons immédiatement, parce qu’en tant qu’êtres imparfaits ce qui nous est étranger pullule, plus que ce qui nous est familier, Pynchon retrace l’épaisseur du discours, le donne à voir et à entendre, crée une expérience de lecture unique et originale par ce type de procédés. Enfin, nous parlions du style de Pynchon, de la composition de ses romans, non pas que la soirée n’y était pas consacrée, mais là nous entrions et ressortions par le même élan dans l’essence même de la soirée parsemée de moments d’éclats, de bons mots et de belles formules dont ma mémoire diluée ne saurait redonner ne serait-ce que l’idée.
On déboucha pour finir quelques bouteilles de Tariquet, rencontrâmes des lecteurs, évoquâmes Cyclocosmia avec emphase (et alors que je suis en train de la relire dans son intégralité, cette emphase que nous manifestions était en deçà de la qualité qui était montrée, pour cela, bravo Antonio – un peu de pub ne fait pas de mal, surtout quand elle est méritée), et le reste est déjà Histoire.
J’oubliais presque de mentionner les Chums présents, tant je suis obnubilé par l’égoïsterie de ce compte-rendu imparfait, Chums dont la compagnie est tout ce qui fait le sel de ce genre de rencontres, soit Pedro, Untel, Manu, L’Ombre qui fit un passage éclair pour nous remettre nos précieuses revues et que l’on reverra très bientôt.
Toute ressemblance avec des évènements s’étant produit n’est que fortuite, bien que parfois recherchée, pour toute réclamation concernant les détails oubliés, et ils sont nombreux, les fautes certaines ainsi que les précisions qui pourraient être apportés, n’hésitez pas à déposer vos réclamations, injures, numéros de carte bancaire, et satisfecits dans les commentaires.
Merci à Thomas Pynchon, évidemment (je prépare mon discours de remise du Nobel, voilà pourquoi la fin est si solennelle).