Le bien, le mal et Mr. Mailer |
En 1997, Norman Mailer publie The gospel according to the son, livre qui, comme l’indique son titre, laisse Jésus donner sa propre version de son histoire. Le portrait est moins héroïque, plus humain. Le fils doute en permanence et se sent à de multiples reprises en train de trahir et décevoir son père. Il finit, bien évidemment, par choisir la voie du bien et ne cède pas à l’ultime tentation satanique alors qu’il se trouve sur la croix.
Si je ne m’abuse, le livre n’a pas été très bien reçu, et je m’attendais au pire en commençant la lecture. Si il n’y a rien d’extraordinairement bon dans ces 240 pages, l’ensemble est agréable et m’a même permis de comprendre un peu mieux certains aspects de la vie du Christ. Peut-être que quelqu’un de plus familier avec les évangiles et croyant de surcroît aurait bien des choses à reprocher à Mailer.
Dix ans plus tard, c’est cette fois à Hitler que Mailer s’attaque. Très risqué. Très raté. Notre octogénaire s’intéresse en fait à la genèse du petit Adolf, à ses premières années, tentant de dégager les éléments permettant peut-être de comprendre ce qui allait se passer par la suite. Pour ce faire, il choisit comme narrateur un officier SS vivant actuellement en Amérique et qui avait été chargé en 1938 d’une enquête sur les origines du Fürher — Himmler voulant savoir s’il était issu d’une relation incestueuse.
Bien vite, le SS s’avère être un démon. Oui, oui, un démon. Et ce petit diable avait suivi le cas de la famille Hitler depuis les premières années du XIXe siècle. Il était même présent à la conception d’Adolf, s’infiltrant dans la semence paternelle. Carrément. Pendant les seize années suivantes, Dieter el demonio surveille le futur moustachu, l’influence dans la mauvaise direction et s’interroge sur les chances de réussites de son élève. De temps en temps, il va manigancer des mauvais coups ailleurs — sabotage du couronnement de Nicolas II, assassinat de Sissi.
Je ne sais pas s’il y avait moyen de réussir une histoire pareille. Ce qui est certain, c’est que Mailer cochonne son boulot. Il tente de dessiner le portrait psychologique de la famille Hitler. Adolf est à peine intéressant, et le personnage qui a le plus d’envergure est en fait son père. Pourtant, le lecteur n’est que trop rarement captivé par cet homme très particulier. Mailer n’est pas vraiment subtil, et son écriture ne décolle jamais. Il recycle certaines obsessions qui ont traversé son œuvre — et que l’âge n’a sans doute fait qu’accentuer — : il ne se lasse jamais de parler de merde, de foutre, de con, de bite et de pisse. On se roule gaiement dans les excréments, malheureusement sans jamais en sortir de pépite. Le comble du ridicule est atteint dans une des dernières scènes où, âgé de 16 ans, Hitler met au point le salut nazi : il maintient son bras en l’air, bien rigide, de façon exactement symétrique à son sexe dur qu’il malaxe de la main gauche. Du Freudisme à deux sous cinquante ? Ne nous arrêtons pas là : le futur caporal expulse sa considérable semence à la douce pensée combinée d’avoir peut-être causé la mort de son père et de son frère mais aussi au souvenir de petites sessions scandaleuses dans les urinoirs de son école.
Dans The castle in the forest, on n’apprend rien de valable sur la monstruosité, le mal, le nazisme, Hitler, l’écriture, la littérature. On perd vraiment son temps à parcourir ces quatre cents pages dénuées de toute magie littéraire. Une fois de plus, Mailer confond stylo à bille et stylo à boules.
Mon intention au départ était de comparer l’appropriation de Jésus et d’Hitler par Mailer. Vu le manque de qualité de The castle in the forest, je n’ai pas vraiment pu. Il y a juste un point qui me chiffonne. Dans The gospel according to the son, on a un bien humain, résultat d’un choix délibéré où le divin n’est pas nécessairement impliqué. Par contre, dans ce dernier livre, Hitler n’a pas vraiment son mot à dire : il est manipulé, provoqué, façonné par un suppôt de Satan. Le bien serait humain, le mal inhumain ? Il y a quelque chose qui cloche. Dans son article pour la New York Review of Books, JM Coetzee cite Mailer à propos de Arendt et de la banalité du mal : « To assume… that evil itself is banal strikes me as exhibiting a prodigious poverty of imagination. » Il devrait peut-être se rendre compte que sa propre vision revient en fait à mettre une main devant les yeux et se refuser de voir le triste humanisme de l’horreur.
Norman Mailer | The gospel according to the son
Random House | 1997 | 242 p.
Norman Mailer | The castle in the forest
Random House | 2007 | 465 p.