La Bibliothèque FFC 2014 |
[dernière mise à jour 27 janvier 2014.]
Histoire de bien démarrer l’année, de réouvrir les vannes paré de nouveaux atours & fêter dix années de club tout aussi informelles que le panorama qui suit, le Fric Frac Club s’est dit que renouer avec la bonne vieille Bibliothèque FFC n’était pas une mauvaise idée. Ce qui suit n’est pas un « top », entre autres parce qu’il n’y a pas d’ordre de hiérarchie (parce qu’il est toujours un peu stupide de se demander qui du crocodile ou du lion est le plus fort). Liste hétéroclite répondant à des contraintes probablement trop ésotériques, à regret trop masculine et trop anglophile, la Bibliothèque FFC jette un regard vers l’étagère 2014 et se demande perpétuellement ce qui devrait encore et toujours y entrer. Du coup, elle reste ouverte tout janvier et, comme dans toute bibliothèque, on continue d’y ranger, d’y ajouter, d’y réorganiser les volumes.
— Le FFC.
Arrivant en France à contre-courant absolu de toutes les tendances littéraires actuelles de ce pays, les Goldberg : Variations de Gabriel Josipovici transportent en contrebande avec elles l’infatigable survivance de cette puissance littéraire, où sous le masque de l’allusion musicale et le clavier des variations, scintille l’irrépressible séduction de ce que l’écrivain peut tramer, ourdir, marteler, machiner, tricoter, pianoter, lorsqu’il s’empare, avec une allégresse à la légèreté feinte, des vastes matériaux de ce monde contemporain qui autrefois était la somme céleste de toutes les histoires. Les réalités se superposent, sans pour autant s’annuler l’une l’autre : c’est la magie de cette esthétique de la suspicion enchevêtrée dont Josipovici possède l’art. Au lieu d’une démonstration, l’auteur nous offre une œuvre fluide et mobile, parfaitement étagée, et dotée de ce qu’il faut bien appeler une beauté tranquille : des paquets de lettres fanées, un brouillard qui s’effile au fond d’un parc derrière une fenêtre, un lit qui renferme un insomniaque, un village préhistorique que le sable couvre et découvre, un commentaire élégiaque d’une œuvre poétique.
Gabriel Josipovici | Goldberg : Variations
Quidam | 2014 | trad. de l’anglais par Bernard Hoepffner
Un célèbre poème de Louis Brauquier disait de la rue Beauvau où furent longtemps concentrées toutes les grandes compagnies maritimes mondiales, à une époque où le surnom de Marseille était Porte de l’Orient, port numero uno de l’Empire et encore l’un des plus importants d’Occident : « Les cent mètres de cette rue sont plus lourds sur le corps du monde, que dix villes de cent mille âmes que n’agite aucun désir. » Le discret Patrick Deville, qui connaît sans aucun doute ces bars d’escale dont parlait le marseillais, s’empare de deux vies aussi lourdes que mille, celles de Malcom Lowry et de Léon Trotsky. Ce sont les années 30 et celui qui fut le chef de l’Armée Rouge fuit les chiens de Staline à travers les cinq continents. Il finira sa course, haché menu, dans une maison bleue de Mexico. Lowry, pas très loin, lorgne l’immensité de son génie à travers le cul de bouteilles à moitié pleines. Autour de ces deux Faust illuminés on trouve Frida Khalo et son couillon de Diego, B. Traven en mode la Révolution-passera-par-mon-style-ou-ne-passera-pas, Arthur Cravan le poète boxeur neveux d’Oscar Wilde, cette demi-tasse d’eau tiède qu’était André Breton, Antonin Artaud les nerfs déjà bien au taquet, le secrétaire de Zapata, un nombre impressionnant de paquebots et de trains et l’Histoire au galop… Viva de Patrick Deville ou comment tout le monde a décidé de se metre la tête à l’envers sur la terre aztèque un peu avant, pendant et après que l’Europe était en train de sombrer corps et biens. Un livre qui donne envie d’en lire au moins mille.
Patrick Deville | Viva
Seuil | 2014
Il faut savoir que l’une des choses les plus intéressantes que Kundera ait dite était ce truc à propos de la double racine grecque du roman occidental. Tout viendrait de là : l’Iliade et l’Odyssée. Le roman choral et le roman soliste. Malgré l’intervention d’Hemingway pour qui les romans américains, eux, proviendraient tous d’une seule et même matrice, Huckleberry Finn, Mailman, lui, n’est rien d’autre que le descendant flingué d’Ulysse et rien de moins qu’une des grosses sensation de l’année.
Robert J. Lennon | Mailman
Monsieur Toussaint Louverture | 2014 | trad. de l’anglais (États-Unis) par Marie Chabin
La Nature, qui a une sainte horreur du vide, a très longtemps laissé entendre que Steve Erickson serait le prochain à s’asseoir sur le trône laissé vacant par un DeLillo en roue libre depuis Outremonde et par un Pynchon que ce genre d’accessoire n’a jamais intéressé. J’imagine qu’à l’heure qu’il est Erickson lui-même ne doit pas être très jouasse à l’idée d’être couronné ainsi, par dépit. Son premier roman, Days Between Stations, avait reçu les honneurs d’un blurb du Pynch’ sans que cela n’en fasse rien d’autre qu’un héritier secret et réservé, une sorte d’auteur culte, en d’autres termes, un auteur peu lu. C’est que Steve Erickson ressemble un peu à ces cadets perdus au milieu de la portée. Trop jeune pour traîner avec les grands (Pynchon, DeLillo, Barth), mais trop vieux pour faire partie de la nouvelle génération dorée (Bret Easton Ellis, David Foster Wallace, Franzen…). Qu’importe : Radio Éthiopie est un livre dense, complexe, dont la linéarité éclatée risque d’en dérouter plus d’un. Vive les héritiers foireux !
Steve Erickson | Radio Éthiopie
Actes Sud | 2014 | trad. de l’anglais (États-Unis) par Clément Baude
Demetrio Sordo, agronome de trente ans, s’ennuie comme un rat mort dans son trou perdu de l’état de Oaxaca au sud du Mexique. Il faut dire qu’en 1945, il ne se passe pas grand chose d’excitant. Pour combler son mortel ennui, il s’en va au bordel et rencontre Mireya qui éveille en lui une concupiscence sans limite et lui permet d’assouvir ses plus lubriques fantasmes. Les deux zigues projettent alors de sortir de leur routine et de s’installer, fonder une famille, tout ça. Mais entre temps Demetrio rencontre une autre femme, Renata, qui, à l’opposé de la pute charnelle et vulgaire Mireya, est l’incarnation pure de la sainteté. Demetrio tombe sous le charme, et commence avec elle une correspondance et des visites sporadiques. Demetrio fera tout pour « toucher » la sainte et lointaine Renata, se gardant bien de laisser transparaître à l’une et l’autre la double relation. Longue partie de chasse entrecoupée de parties de jambes en l’air, Casi nunca peut sembler à première vue un scénario de téléfilm érotique de troisième zone, mais la richesse de la langue, la profondeur et l’humour du propos en font un excellent roman, excellent, excellent.
Daniel Sada | Presque jamais
L’Olivier | 2014 | trad. de l’espagnol (Mexique) par Claude Fell
Depuis la sortie de son premier livre, The Age of Wire and String, dont l’ambition folle était d’écrire quelque chose jamais lu, on a vu surgir autour de Ben Marcus une bande d’aventuriers extasiés et maniaques : ses lecteurs. Il aura fallu attendre 2006 pour que paraisse une première traduction du Silence selon Jane Dark, deuxième roman du bonhomme qui ouvrait grand la porte de cette étrange littérature aux lecteurs français voulant bien s’arracher les yeux devant des phrases assourdissantes de beauté. Depuis, Ben Marcus a eu le temps de devenir le chef de file d’une fiction exigeante, indispensable et quasi secrète, portée par une bande de jeunes turcs ultra doués. Il est revenu en 2014, chez les toutes fraîches éditions du Sous-sol de la revue Feuilleton d’Adrien Bosc, avec le roman de la consécration publique et critique : L’alphabet de flammes. On s’est dit une seconde et demi que le sujet même du livre aurait dû l’empêcher d’exister, mais c’est pourtant cette absurdité impossible à combler qui en fait une saillie du langage indispensable. Le chaînon manquant entre Épépé de Karinthy, Louis Wolfson et Le village des damnés.
Ben Marcus | L’Alphabet de flammes
Les éditions du Sous-sol | 2014 | trad. de l’anglais (États-Unis) par Thierry Decottignie
Soyons clair. Le Soleil de Jean-Hubert Gailliot n’est pas un de ces romans qui se parcourent d’un œil distrait au coin d’une plage de sable blond. Les 530 pages du Soleil pèsent leur poids de littérature. Si l’on s’en tient à la trame de l’histoire, l’enquête que mène Alexandre Varlop pour retrouver Le Soleil, manuscrit perdu, texte mythique dont on sait seulement qu’il est successivement passé entre les mains du photographe surréaliste Man Ray, du poète Ezra Pound, et du peintre Cy Twombly, on aurait déjà entre les mains le squelette d’un bon polar, potentiellement nourri du riche héritage que ces trois monstres de la création occidentale de la première moitié du dernier siècle nous ont légué. Sauf que Le Soleil est grand livre qui tente de nous parler de l’Univers et du Monde tels qu’ils sont : immenses, insaisissables, incompréhensibles parfois, hors de notre portée toujours. Restent la force des mots, la puissance créatrice de ceux qui les emploient, la poésie, la beauté de l’instant qui peut prendre la forme du vol tarabiscoté d’une guêpe, d’une arabesque de Twombly ou d’un haïku japonais.
Jean-Hubert Gailliot | Le Soleil
L’Olivier | 2014
C’est un vilain petit défaut bien pratique de voir des ombres familières sur chaque nouveau livre que nous ouvrons. On peut faire fonctionner pas mal de ces cases qui ne servent à rien le reste de l’année, montrer combien on a lu des tas d’auteurs qui comptent ou des romans « importants » comme disait Dame Pacholle. Elle est sans doute morte à l’heure où j’écris ces mots. Plus sobrement, ça permet de dire d’un livre des choses intelligentes que l’on aurait été bien incapable de formuler autrement que par de vagues filiations que tout le monde aurait fait semblant de comprendre. Ainsi, si je dis qu’à la lecture de cette drôle d’histoire de Volkswagen on pense à d’autres drôles d’histoires comme, je ne sais pas, disons un roman de Brautiguan, Sucre de pastèque par exemple, un livre avec lequel Comment élever votre Volkswagen partage la douce et folle poésie des rêveurs inquiets ainsi qu’une ambiance sylvestre qui nous ramène à un Âge d’Or que personne n’a connu… bon, eh bien, tout devient évident. Et si en plus, j’ajoute qu’on trouve dans le livre de Boucher la même mélancolie soyeuse que dans Autres électricités d’Ander Monson, je crois que c’est clair. Tout le monde a compris.
Christopher Boucher | Comment élever votre Volkswagen
Le Nouvel Attila | 2014 | trad. de l’anglais (États-Unis) par Théophile Sersiron
Immense excroissance du rhizome post-exotique qu’Antoine Volodine et ses hétéronymes cultivent depuis plus de 25 ans et dont on vous rabâche les oreilles dès qu’on en a l’occasion, Terminus Radieux décroche le Médicis. Un prix, qui pour une fois, nous tire un ouf de soulagement qui résonnera jusqu’aux confins des plus lointaines steppes d’Asie centrale et jusqu’au cœur même des cœurs des dernières centrales nucléaires en activité.
Antoine Volodine | Terminus Radieux
Seuil | 2014
Alessandro Mercuri était déjà l’auteur iconoclaste de deux livres zonant entre fiction, récit et essais littéraires : Kafka-Cola – sans pitié ni sucre ajouté et Peeping Tom. Le monsieur a étudié le cinéma en Californie et la philosophie en France. Il a réalisé des documentaires et des vidéos clips. Lancé ParisLike avec Haijun Park. Lui-même possède un nom qui sent l’aventure et la vitesse. Alessandro Mercuri fait les choses comme il faut semble-t-il. En 2014 il a donc lancé un submersible en forme d’enquête secrète et d’apophénie festive. Le dossier Alvin débute par les notes familières d’un complot purement national intégré, jusqu’à l’overdose, par le reste du système solaire. Nous sommes en 1963 lors de la première projection du dernier film de Stanley Kubrick, Dr. Strangelove. Le téléphone sonne. À l’écran, le générique n’est pas tout à fait fini lorsque le projectionniste arrête le film. Un terrible drame vient de se produire : Dallas en novembre, la fenêtre d’un dépôt de livres, un président top canon, une première dame qui tente une échappée par le coffre… Un nouveau chaînon s’ajoute à notre mythologie moderne tandis que l’histoire ouvre grand la voie de son intrication, disons quantique, à la fiction. Pépite !
Alessandro Mercuri | Le dossier Alvin
art&fiction | coll. « RE : PACIFIC » | 2014
What else...
Thomas Pynchon | Fonds perdus
Seuil | 2014 | trad. de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard
Merci pour ces conseils avisés ! Ce jour nous endeuille tous mais il prouve que l’ennemi de la terreur c’est le crayon, le papier et la gomme.