Giosuè Calaciura | Malacarne

Monsieur le juge |

Au rayon petite maison dont on ne parle pas assez figure en bonne place les Québécois des Allusifs. Leur catalogue est pourtant d’une rare qualité. Je vous ai récemment parlé de deux Bolaño parus chez eux et j’ai encore deux autres titres sous le coude. Aujourd’hui, j’évoquerai Malacarne, l’étrange premier roman mafieux de Giosuè Calaciura, journaliste de la RAI et dramaturge, né à Palerme, ce qui n’étonnera personne au vu du contenu de ces 170 pages.

Malacarne est la confession déversée au pied d’un juge muet par un mafieux extrêmement loquace. Tout commence comme le récit classique de l’exécution l’ayant mené devant la justice, mais l’on se rend vite compte qu’il y a quelque chose d’autre. Le bandit parle toujours en nous, non pas ce nous grandiloquent visant à magnifier son crime mais bien le nous collectif, celui qui précise qu’il ne saurait s’agir du parcours d’un individu mais bien de celui d’un groupe, d’une organisation.

En fait, Calaciura donne ici une histoire symbolique de la Cosa Nostra, des origines dans le petit banditisme plus ou moins crapuleux jusqu’à cette apothéose en organisation criminelle globalisée. À travers le déballage du narrateur, on assiste au récit de l’écolage, de la naissance d’une intelligence criminelle, apprenant petit à petit, avec les évolutions de la bande, à passer les vitesses une à une, à trouver des solutions à tous les problèmes.

Il y a bien sûr la violence, solution ultime, pratiquée de manière toujours plus raffinée et donc, étonnamment, toujours plus barbare. Les mafieux se lassent du fric et du sexe, se disent blasés de verser le sang mais ne peuvent se passer de l’incomparable excitation du coup de lupara, du doux frisson de la lame qui ouvre la chair, du délectable plaisir de l’acide qui travaille les os. On ne signe la paix que pour retrouver la secousse orgasmique de la petite mise à mort quelques mois plus tard.

Ne nous-y trompons pas : il y a matière à rire dans le livre de Calaciura, aussi bien dans la grandiloquence verbeuse de celui qui passe à table que dans les descriptions férocement drôles des penchants vestimentaires des hordes de tueurs. Même le récit de l’assassinat peut être source d’un éclat zygomatique à son corps défendant. Ne soyez pas surpris si ensuite vous levez les yeux de la page, regardez à gauche, regardez à droite, histoire de vous convaincre que personne ne vous a vu se riant de ces terribles industriels des loisirs défendus. Mais une fois rassurés, vous vous replongerez dans cette fascinante, élégante prose, légèrement baroque, très explosive.

De toute façon, tout sourire se referme lorsque l’on pense à ce juge silencieux dont, tout au court du roman, les doutes quant à l’identité et la nature exacte se développent jusqu’à faire entrevoir la possibilité de la présence de l’artisan du jugement dernier venu s’occuper, non pas d’un petit tueur, non pas d’une organisation criminelle, mais bien, peut-être, d’un monde où le pêché se vend au prix du sang. « Nous n’étions plus rien », cet incessant refrain qui parcourt les pages de Malacarne prendrait alors tout son sens.


Giosuè Calaciura | Malacarne
Traduction de l’italien par Lise Chapuis
Les Allusifs | 2007 | 184 p.