QFFC | David Samuels

DAVID SAMUELS |

David Samuels bosse comme éditeur (au sens ricin du terme) pour Harper’s et contribue aussi au New Yorker et à The Atlantic. Un chouette CV. Il fait partie de cette grande lignée d’auteurs/journalistes américains pour qui les teintes de la narration sont aussi vastes que le monde qu’elles dépeignent. À l’instar de John Jeremiah Sullivan ou George Parker, David Samuels dessine un portrait en creux de l’Amérique et de ses outsiders. Mentir à perdre haleine est son premier ouvrage traduit en France. En attendant la sortie l’année prochaine de Only Love Can Break Your Heart, son recueil d’articles (toujours aux excellentes Éditions du sous sol), David Samuels a accepté de répondre au Questionnaire du FFC.


Quel livre êtes-vous en train de lire ? Rêves de train de Denis Johnson et Gangster City de Patrick Downey.

Quel est votre premier souvenir, votre première émotion littéraire ? Je me souviens d’une balade dans la neige avec mon grand-père. Nous étions à Montréal et il me parlait des délicieux plats de viande que sa mère cuisinait pour lui en Russie. J’imaginais que la neige dans laquelle nous marchions était la même neige que celle dans laquelle mon grand-père marchait lorsqu’il était enfant et j’ai pensé que nous aurions pu être amis à l’école. Il y avait quelque chose de magique à ressentir cette connexion-là et en même temps quelque chose de terrible à l’idée que sa mère et toutes les personnes dont il parlait dans ses histoires avaient été assassinées durant la guerre et qu’il était le seul membre de sa famille à avoir survécu. J’avais le sentiment qu’en écoutant les histoires qu’il me racontait nous ramenions toutes ces personnes à la vie. De la même manière que je pouvais voir ma propre respiration s’élever dans le froid, elles devenaient vivantes lorsqu’il ouvrait la bouche pour parler. C’est la première fois que j’ai compris ce qu’était une histoire. Quelque chose de précieux, de terrible et de fragile.

Suggérez-moi la lecture d’un livre ou d’un texte dont je n’ai sans doute jamais entendu parlé ? Je suis un grand amateur de documents, de témoignages originaux. Tout ces écrits qui ne sont pas des romans, mais suggèrent le début d’une intrigue. J’adore cette manière de rêvasser. J’ai particulièrement aimé  Le Procès de Patty Hearst. Une version non censurée de la procédure judiciaire qui décrit parfaitement la folie révolutionnaire de la Californie du début des années soixante-dix. Dans le même genre il y a le Journal de Kurt Cobain.

Quels auteurs avez-vous honte de ne jamais avoir lu ? Même si je suis persuadé que j’aimerai leurs livres je n’ai jamais lu un seul mot de JM Coetzee ou Doris Lessing.

Quel livre auriez-vous aimé écrire ? Moby Dick. C’est le seul et unique roman jamais écrit par un Américain qui soit indispensable de lire. Ça se passe sur un baleinier et on y trouve des centaines de pages d’informations aléatoires, mais incroyablement fascinantes sur les baleines. J’aurais vraiment aimé l’écrire.

Le pire roman jamais lu ? Le pire livre que j’ai jamais lu, de la première à la dernière page, c’est Freedom de Jonathan Franzen. C’est tellement ennuyeux, dissonant à tous les niveaux alors même que le livre cherche à atteindre une portée qui le dépasse et ce d’une manière que j’ai trouvé incroyablement énervante et fascinante à la fois. J’ai continué de le lire jusqu’au bout afin de comprendre si sa publication, et tout le battage qui a suivi, signifiait que le roman était mort ou si c’était juste un mauvais livre. Je n’ai toujours pas la réponse.

Le meilleur adapté à l’écran ? Sans hésitationLe parrain de Mario Puzo dont on ne tira pas un, mais deux grands films. Je trouve que pas mal de mauvais livres sont fait pour devenir de grands films. L’inverse est aussi vrai.

En ouverture de votre recueil d’article, Only Love Can Break Your Heart, vous écrivez : « Lorsque Tom Wolfe insistait sur le fait que les journalistes étaient en train d’écrire les romans Américains d’aujourd’hui, il devait secrètement rêver d’en écrire lui-même. » Rêvez-vous secrètement d’écrire des romans ? Je ne suis plus certain de savoir encore ce qu’est un roman, je veux dire en dehors d’une catégorie historique ou une sorte de performance littéraire très maniérée qui confère un certain prestige au sein d’une audience très spécifique. Selon moi, il existe une distinction bien plus significative entre les livres et ce qui n’en est pas. Après un temps passé à écrire pour divers magazines, je suis très excité à l’idée d’écrire des livres.

Quel est votre premier lecteur ? Mon premier lecteur est une lectrice. Une hippie qui a vécu dans la région de San Francisco pendant les années soixante et au début des années soixante-dix. Elle était amie avec tout un tas d’artistes mineurs, de peintres et de poètes qui vivaient là. Elle a pas mal consommé de drogues à un moment où elle s’est mise à explorer les différentes perspectives qu’une auto-analyse aurait sur son épanouissement personnel. Puis à trente ans, elle a déménagé dans l’Idaho où elle a travaillé comme bibliothécaire. Sans en faire la critique, c’est aussi une énorme amatrice de peinture expressionniste abstraite. Elle est mariée à un sculpteur qui fait de grandes pièces en métal et à qui il arrive parfois de rester silencieux des semaines entières. J’apprécie sa tolérance pour la bizarrerie et la solitude et j’aime son sens aiguisé de l’humour. Je me sens privilégié d’être une personne en qui elle a confiance et vers qui elle se tourne lorsqu’elle se sent curieuse ou seule. Je lui suis « fidèle » depuis que j’ai 25 ans, lorsque je lui ai demandé pour la première fois de m’aider à écrire. Mon agent et ma femme sont aussi des lecteurs en qui j’ai confiance.

Enfant, quel métier vouliez-vous faire ? Je voulais être capitaine, sur un bateau.

Que ferez-vous lorsqu’il n’y aura plus de lecteurs ? Je les créerai. 


Lisez la chronique de Mentir à perdre haleine de David Samuels