James Ellroy | Extorsion

Hollywood face B |

Pour commencer, citons Ellroy, à propos d’Extorsion : « C’est est une bouffonnerie ! Je l’ai voulue scabreuse, hilarante, à faire frémir, sombre, profonde ». Ça donne le ton, et décrit plutôt bien l’impression que laisse ce cours roman, construit autour de la figure de Fred Otash, flic véreux qui devint célèbre en collaborant avec la press people des années 50, notamment avec le tabloïd Confidential, et en y balançant tous les secrets des stars de l’époque. Sans doute un fumier, sans doute aussi une icône, révélateur de toute cette part sombre et fascinante de l’âge d’or d’Hollywood.

Ce n’est pas la première fois qu’Ellroy s’empare d’Otash et en fait un personnage de fiction. Celui-ci apparaît en effet déjà dans American Death Trip et Underworld USA. Cette fois Otash est mort, coincé au purgatoire, torturé par les anciennes victimes de ses ragots, Marilyn Monroe, Ava Gardner ou Montgomery Clift. Pour passer à l’étape supérieure, il doit confesser ses péchés. On lui accorde l’aide d’un plumitif, Ellroy lui-même, qui a besoin des confessions d’Otash en vue de l’écriture d’une série pour la chaîne câblée FX, projet bien réel actuellement en cours.

Donnant parfois l’impression de virer à l’exercice de style, un peu anecdotique, sombre, exaspérant ou très drôle, Ellroy s’amuse, et cela ce sent, à dresser le portrait bigarré et grimaçant d’un personnage qui de toute évidence le fascine. Il déclare d’ailleurs à son propos, « Otash était un personnage ridicule. Je l’ai rencontré à la fin de sa vie, c’était un idiot et je voulais m’amuser à ses dépens en écrivant une nouvelle à la manière du magazine Confidential » Il en retrace en quelques pages le parcours, depuis l’ancien flic véreux et violent, qui mettra toutes ses ressources d’investigation, son réseau d’informateurs et ses moyens technique pour déterrer les pires secrets des stars, provoquer les scandales, d’abord pour les faire chanter, puis pour les vendre à Confidential ; c’est d’ailleurs ce qui fit la grande force d’Otash, sa capacité à vérifier et prouver toutes ses révélations. Ici, Otash est un personnage détestable, cynique, violent, obsédé par les femmes et l’argent, dont la devise est : « Je suis prêt à travailler pour n’importe qui, à l’exception des communistes. Je suis prêt à faire tout ce qu’il faudra, sauf à commettre un meurtre. » Et l’extorsion tient pour lui davantage de principe philosophie que d’un simple moyen de profit. 

Ellroy semble d’autant s’amuser qu’il brouille les pistes entre fiction et histoire, entre ce qui est vrai et ce qu’il a inventé. Notamment dans le déballage des anecdotes et rumeurs tirées aux stars d’Hollywood. En guise d’exemple, on retrouve Lana Turner avec la petite amie de Sinatra, Burt Lancaster en sadique, possédant une chambre des tortures, dont les séances sont filmées par Fritz Lang, la bande son d’une fade coucherie entre Kennedy et Ingrid Bergman. Et tout cela s’enchaîne dans un rythme énergique, un tempo fiévreux, bourré d’argots, d’insultes, de rimes comiques, de considérations scabreuses ou racistes. Ça choque et ça claque. C’est très drôle et on se laisse emporter. Et c’est sans doute l’un des coups de génie de ce bouquin. Parce qu’avec cet humour et ses inventions stylistiques (comme les allitérations inventives, dont Ellroy explique qu’il était une marque de fabrique d’Otash, mais qui également l’un de ses traits, « pugilat aux pissotières », « la mignonne aime les moricauds », etc.). Ellroy joue sur une certaine ambivalence. C’est-à-dire qu’en même temps qu’il dresse le portrait d’une ordure, qui a sans doute détruit des vies, commis une série de forfaits lamentables, on s’amuse tellement qu’on a envie de se glisser dans sa peau, le suivre dans ses combines, surveiller les rues et les hôtels de Los Angeles pour en déterrer les secrets les plus tordus. 

Pour finir, on nous propose deux chapitres inédits du prochain Ellroy, Perfidia, premier volume de la nouvelle tétralogie d’Ellroy, qu’il nomme lui-même le deuxième LA Quartet, et qui paraîtra en France l’année prochaine. Des chapitres dont je ne dirais pas grand-chose, si ce n’est qu’ils donnent très envie de lire le reste et qu’on y retrouve les personnages du Dahlia noir vingt ans après. Des chapitres en forme de teaser qui nous font bizarrement refermer Extorsion avec l’impression qu’il n’est qu’un prétexte, une manière de nous faire patienter avant le prochain Ellroy, annoncé comme l’un de ses meilleurs romans. Mais même si on ne peut sans doute pas parler d’un chef d’œuvre, Ellroy prouve encore, s’il en était besoin, qu’il est un roi de la provoc, qu’il a un style inimitable, qui lui permet d’aller se promener dans les zones les plus sordides et d’en sortir un grand rire, jubilatoire et inquiétant.


James Ellroy | Extorsion
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Paul Gratias
Rivages | 2014 | 128 p.